Je quitte la maison de Marie où loge actuellement Domino, je n’ai pas besoin d’avoir un miroir pour savoir que mon soucis pour elle se voit sur mon visage. Elle avait encore une fois pris de la drogue. Je détestais ses moments-là, c’était les seuls où elle apparaissait heureuse et comme une adolescente. J’aurais tellement aimé que ce soit autre chose que ses gélules qui lui apporte cette insouciance, j’aurais aussi aimé trouver son fournisseur pour simplement lui botter les fesses. Domino était encore une enfant, même si son physique laissait penser le contraire. Quoi qu’elle ait vécue dans sa vie, ça l’avait fait grandir trop vite, trop mal. Elle n’avait pas eu le temps d’expérimenter, d’aimer, de détester, d’apprendre à se connaître. J’avais envie de lui offrir ça, d’être celle sur qui elle pourrait compter, celle qui lui permettrait de redevenir une enfant avant de devenir une femme. Mais elle ne me laissait pas entrer dans son cœur, pas entré dans sa tête. Elle voulait juste rester mon alliée plutôt que devenir… Devenir quoi d’ailleurs ? Mon amie ? Ma famille ? Ma sœur ? Mon enfant ?
Je ne sais pas, je ne sais pas qui je veux être pour elle, je ne sais pas qui elle est pour moi. Mais je sais que je veux l’aider sans qu’elle ne me laisse faire.

Presque sans y penser, je laisse mon contrôle sur les ombres m’amenait à l’Allée des embrumes, c’est différent du transplanage sans que je ne puisse l’expliquer. C’est comme si c’était une partie de moi, une partie qui pouvait parfois me contrôler, prendre le dessus sur moi, me prendre par surprise. Cette fois j’atterris devant le bar… Le bar derrière lequel tout a commencé. Celui où j’ai appris à connaître Ena et Domino, celui où j’ai vu se confirmer l’addiction de Domino à la drogue… Mais aussi celui où j’ai rencontré cet homme, Andrew.
Je secoue la tête, voulant ne pas me perdre dans mes pensées. Pourquoi avais-je cédé avec lui ? Pourquoi même deux fois, lui montrant ma maison ? J’étais pourtant bien plus prudente habituellement, j’aurais pu me faire tuer mille fois que je n’aurais rien vu, perdue dans mon plaisir. Il aurait pu être un ennemi que je n’aurais pas pu réagir, surtout au vu de la force qu’il semblait posséder… Et le fait de connaître cet Evan, ce vampire transformé par Victor, ce frère de race… C’était encore un point négatif à lui ajouter, j’aurais du m’en aller tout de suite, je ne l’avais pas fait. J’avais été imprudente, et le pire était de savoir que je recommencerais surement si jamais je croisais de nouveau mon mercenaire. J’étais décidément folle.

Je quitte enfin cette allée avant de me perdre dans mes souvenirs, je suis déjà passé bien trop souvent par ici. A peine ai-je pu faire quelque pas que je reconnais la silhouette qui se dessine devant moi. Quelque peu plus grande que moi, bien plus musclé et épaisse, indéniablement celle d’Andrew, je pouvais dire avoir bien parcouru son corps quelques nuits plus tôt. Il discute avec quelqu’un d’autre, caché sous une capuche, je ne cherche pas à découvrir le mystère de l’identité de l’autre, ni même à écouter la conversation. Je me dissimule à travers les ombres de la ruelle et je les observe. Ou plutôt, je l’observe. Devais-je céder et le revoir ? Il allait de toute façon falloir que je le fasse, j’avais bien trop de contacts avec sa sœur pour ne plus jamais le recroiser. Et s’il était vraiment intéressé par la bataille à venir, il allait falloir que je le fasse changer d’avis. Cette bataille n’avait pas à être mené avec un mortel, je voulais protéger Domino sans le pouvoir, mais j’avais encore une chance de retenir Andrew, il allait falloir que je la saisisse.

Je l’observe se séparer de l’encapuchonner et faire quelques pas dans ma direction, un coup d’œil derrière, l’autre avait disparu. J’attends qu’il s’approche assez et je réapparais, l’entraînant par le bras dans une autre ruelle à quelques pas de là. Je vois Andrew réagir du coin de l’œil, partant de la supposition qu’un ennemi se retrouve devant lui. La curiosité me tuera peut-être mais je le laisse faire. Je me retrouve le dos collé contre les briques froides de la ruelle, sa main sur ma gorge. Comptes-tu serrer jusqu’à l’étouffement Andrew ? Je murmure doucement en déposant ma main sur la sienne.

« Ta baguette te serait peut-être plus utile que les poings contre un vampire mon ange. »

J’observe la réalisation dans ses yeux et son étreinte qui se desserre. Un sourire malicieux apparaît sur mes lèvres. Le meilleur moyen d’oublier Domino sera surement de lui parler, mais de toute façon j’ai engagé les hostilités alors aucun moyen d’arrêter cette conversation. A moins que ce ne soit son souhait. Mon sourire atteint mes yeux, reflet de mon humeur taquine pendant que je reprends la parole.

« Bonsoir Andrew, désolé si je t’ai pris par surprise, tu as d’excellents réflexes en tout cas. »

Surprise, surprise. S’il y a bien quelqu’un que je ne pensais pas recroiser, c’était Andrew. Je le pensais soit reparti en mission, soit avec sa sœur, certainement pas dans l’allée des embrumes, c’était un homme d’action. Mêmes nos quelques heures ensemble m’avaient permis de comprendre ça. Je l’observe, cachée où je suis, parler à cette personne encapuchonné. La curiosité me prend un petit instant de savoir qui est dans cette capuche, mais je finis par l’oublier. Andrew peut bien avoir ses secrets, je compte bien conserver quelques uns des miens, nous serons ainsi plus ou moins à égalité.

Quand les deux finissent par se quitter, je ne peux pas m’empêcher de rechercher le contact avec Andrew, je le prends par le bras et l’entraîne dans une autre ruelle. Je peux le voir réagir du coin de l’œil mais je me laisse faire, finissant avec sa main sur ma gorge et mon corps plaqué contre le mur. Il est sur le point de m’attaquer quand je laisse entendre ma voix, le taquinant légèrement. Je me demande s’il aurait pu aller jusqu’au bout, si j’aurais pu l’empêcher de m’attaquer. Il allait falloir que je lui demande un combat un jour, j’étais curieuse de savoir jusqu’où il pourrait aller, s’il pourrait me battre. Surement, il avait de grandes facilités à me déconcentrer.

« J’aurais pu te tuer, vampire ou pas vampire, en as-tu conscience ? Tu devrais pourtant savoir qu’il ne faut jamais prendre un mercenaire par surprise, Kahlan. »

Ne me fait pas la leçon mon ange, ça ne sert à rien, je n’écoute jamais les autres, je ne le ferais pas avec toi non plus. Je l’observe tout autant qu’il le fait et je dois me mordre la lèvre quand je remarque la veine de son cou battant furieusement, apparemment il lui fallait un temps pour calmer les battements de son cœur, en attendant, j’avais une furieuse tentation juste devant les yeux. Je laisse échapper un soupir légèrement tremblant et relève les yeux sur lui quand il continue son discours. Je le laisse terminer mais je lui donne ensuite mon avis.

« On doit tous mourir un jour non ? N’est-ce pas que disent les mortelles depuis des millénaires ? Avec la vie que je mène, je préfère largement que ce soit quelqu’un comme toi qui prennes ma vie, et même que ce soit toi, au moins apporterais-je un bon souvenir dans ma mort. »

Je préférerais vivre, c’est certain, mais tant qu’à mourir, le faire de la main d’Ena, Domino ou Andrew me parait être une belle mort. Mon seul regret serait de les laisser derrière moi, de les laisser affronter seuls le Clan. Je relève les yeux pour les ancrer dans les siens et continuer sur ma lancée.

« Je serais curieuse par contre de voir quelles limites tu as pu voir en moi ? Comment comptes-tu gagner un combat contre moi ? »

Tu le pourrais en me distrayant, tu as déjà réussi il y a quelques nuits, avec tes baisers et caresses. Fais en sorte de me les rappeler et tu auras un avantage sur moi pendant quelques secondes. Aurais-je le même type d’avantage ? Par contre…

« Qui est ce lui ? Et pourquoi ce regard d’un coup ? »

On aurait dit que je te dégoûtais, et je préférerais savoir pourquoi. Je n’ai rien fait qui aurait du changer ton avis sur moi. A moins que ça ne concerne ce lui ? Finalement, je retire ce que j’ai dit, je préfère quand tu n’as pas de secret pour moi.
Je me rends compte qu’il m’a lâché maintenant et que nos corps ne se touchent même plus. Etonnement, ça me dérange. Savoir que son corps est contre le mien devrait me déranger, il vient de me prouver qu’il pouvait facilement lutter contre moi, mais plutôt que de me faire peur, ça ne fait que réveiller l’excitation du danger et une étrange envie au creux de mon ventre. Toujours est-il que son corps n’est plus là pour me communiquer sa chaleur et que ça me dérange bien plus que je ne l’aurais pensé.

« M’enfin, te revoir n’est pas pour me déplaire. Comment te portes-tu Kahlan ? »

Vraiment ? Nous faisons enfin une conversation normale… Ce n’est pas nous ça. Je m’approche petit à petit de lui en lui répondant :

« Très bien, je ne m’attendais pas à te voir, mais tu viens d’embellir ma journée. Et toi, comment vas-tu ? Toujours sur tes gardes maintenant que tu m’as identifié ? »

Ne pas penser à Domino, je ne dois pas penser à elle si je ne veux pas perdre de ma bonne humeur ce soir. J’irais m’occuper de son fournisseur demain, mais pour cette fin de journée, je ne veux pas y penser, je ne veux plus y penser.
Tout comme je ne veux pas qu’il puisse voir mon dilemme et mes émotions dans mes yeux, je finis par passer mes mains derrière la nuque d’Andrew et par coller mon corps contre le mien. Sa veine est enfin devant mes yeux et je ne peux m’empêcher de la suivre du bout des lèvres, sentant son sang rugir sous mes lèvres. Je ne comprends pas pourquoi son sang me tente tellement, des milliers de sang différents sont déjà passé devant moi, mais aucun ne m’a autant tenté que le sien. Je ne me comprends pas. Mais j’aime ça, même si c’est une mauvaise idée. Je parle contre sa veine, doucement, au moins je me suis définitivement changé les idées avec cette envie de mordre.

« Nous sommes mieux ainsi non ? »