Le rat me regardait encore. Cette observation tournait en boucle dans ma tête, ça fait deux jours que je partage ma cellule avec ce rat après tout, il n’y a pas grand-chose d’autre à regarder. D’ailleurs si moi-même je le remarque, c’est peut être que je l’observe un peu trop également ? Bref tout cela ne m’importe pas, après tout ce rat est plutôt de bonne compagnie, de meilleur en tout cas que celle de mes gardiens, ou bourreaux, je ne sais pas trop comment les appeler.

Petit retour en arrière, j’ai quatorze ans depuis quelques jours, je ne sais pas exactement combien, ne sachant pas depuis combien de temps j’étais enfermée, mais cela fait moins de dix jours en tout cas. A y regarder, c’est plutôt ironique, ils auraient pu choisir n’importe quel jour de l’année pour me kidnapper et ils ont choisi pile dans la semaine entre mon anniversaire et celui de ma sœur. Quelle chance !
Et voilà que je recommence avec l’ironie, si mon père me voyait, je ne sais pas comment il réagirait : fierté ou désespoir ? Pour l’intérêt que ça a, vu le caractère assez officiel des couloirs et bâtiments que l’on m’a fait traverser, je ne risque pas de revoir ma famille un jour. J’espère qu’ils s’en sortiront sans moi pour ramener l’argent, mieux vaut qu’ils prennent soin de ma petite Lucy, sinon parents ou pas parents, morts ou vivants, leur matricule va chauffer.

Tiens, le rat bouge. Un peu. Bon en fait il a juste remué ses moustaches, mais c’est bien le seul mouvement visible dans ma cellule alors bon, faut bien que je le note. Spacieuse, la cellule, super confort aussi, superbe, manque peut être un peu de couleur tout de même. Je verrais bien un peu plus de rouge sur les murs, ça masquerait les tâches de sang, et peut être aussi un dallage noir plutôt que blanc, ça cacherait la crasse sur la mini-partie salle d’eau.
Ouais, en fait, y a encore du boulot pour en faire une belle cellule, mais j’imagine que je n’ai pas à me plaindre, y a personne qui m’embête, même pas un autre prisonnier, bon du coup on se sent un peu seul comme ça mais encore une fois, y a le rat pour me tenir compagnie.

Bruit dans les couloirs, je tends l’oreille. Un tapotement régulier, un, deux, un, deux, à répétition, avec une espèce de petit décalage. Il faut qu’ils viennent devant moi pour que je me rende compte que ce bruit correspondait à des pas et que le décalage correspondait à leur différence de démarche. Une grande brune et un homme assez mignon roux, en fait tous les deux sont mignons, si on en oublie leurs bleus-blessures et leurs yeux glacés, avec leurs mines cadavériques et glaciales. Ouais en fait mignon c’est peut être pas le bon mot, beauté glaciale peut être ?

Ils ne me laissent pas vraiment le temps d’y réfléchir et sifflent très fortement, trop pour mes oreilles, celles du rat aussi apparemment vu qu’il se barre, j’aurais bien aimé en faire pareil, mais c’est décidément pas possible, surtout que ma porte de cellule est fermé. En fait, elle l’est plus, grande brune vient de l’ouvrir, et avant même que je n’ai fais un pas, ou même essayer de me mettre debout d’ailleurs, elle m’a attrapé le bras et m’entraîne vers la sortie de ma cellule. Faut pas croire, c’est peut être une fille, mais elle a de la force dans les bras, c’est à la limite si elle ne me déboîte pas l’épaule, du coup je m’écris pour me faire entendre de Miss gourde :

« Eh, fais gaffe un peu, mon bras ! »

Comme il fallait s’en douter, Miss Gourde n’en a rien à faire, et au vu de la tête de Beau-Roux, lui aussi s’en fichent. Je retiens un frisson parce que franchement, leurs démarches, leurs regards, leurs silences, tout ça, ça me fait penser à deux choses : des soldats et surtout des machines.
Ils m’entraînent tous les deux devant un bureau, sympa celui là d’ailleurs, bien mieux que ma cellule, qui est constitué donc en grande partie de vitres, le mec à l’intérieur est en superbe costard, surement hors de prix, manchettes dorés et tout le tralala, et nous observe depuis sa chaise, ou plutôt son trône.
Miss Gourde et Beau-Roux rentrent en m’entraînant avec eux et me forcent à m’assoir sur la chaise en face du Chef-Oui-Chef-M’as-Tu-Vu, trop long comme surnom d’ailleurs. Enfin bref, en voyant les couloirs que j’ai traversé ainsi que mes deux grands copains, je n’essaye pas de m’échapper, déjà je ne battrais pas les minis-soldats et ensuite, franchement, ce complexe a l’air d’être dans un labyrinthe, et j’aimerais vraiment éviter de me perdre. Bah du coup, reste plus qu’à écouter Chef-Oui-Chef qui a apparemment une grosse envie pressante vu combien il essaye d’attirer mon attention, facilitons lui la tâche donc et écoutons.

« Bien mademoiselle Andropov, j’espère que ce séjour chez nous ne vous a pas rebuté, je sais que votre cellule n’est pas très accueillante, mais soyez assuré d’avoir maintenant une chambre. Bien sur contre une rémunération, cela va de soi. »

Mais bien sur, il a fumé le vieux, enfin pas si vieux, il doit avoir 40 balais, mais bon, il a fumé quand même. Puisqu’il utilise l’ironie, autant faire pareil.

« Mais pour sûr, vous m’avez kidnappé, enlevé à ma famille, et vous vous attendez à ce que je vous aide à faire je-ne-sais-quoi ? »

Juste après mes paroles, je l’observais avec ironie, mais plus le temps passe, et plus je deviens mal à l’aise. Faut dire, quand le mec est pas du tout impressionné, mais vous regarde de haut avec un sourire super-carnassier, c’est pas très rassurant. Surtout avec Ce sourire en fait.

« Voyons ma chère, qui vous a dit que vous aviez à donner votre avis ? Juste, écoutez un point c’est tout. Votre histoire commence ici et maintenant, et votre vie telle que vous la connaissiez est terminé. A moins que vous ne teniez à ce que je ne ramène votre famille ici ? Je peux le faire, soyez assuré. »

Cette fois, son sourire et son ton étaient vraiment flippant, vraiment pas le moment de le contredire, mais plutôt celui de dire Oui-Amen-Monsieur-Super. Sauf que bon, je suis une Andropov, alors têtue et battante en soi, donc je préfère la boucler, question d’honneur. Le Chef-Oui-Chef reprend sa tête normal, son masque, et continue quand il voit que je ne le contredis pas, comme si je pouvais…

« Bien nous sommes donc sur la même longueur d’onde, cela me rassure. Signez ceci je vous prie. »

Il ouvre tranquillement son bureau et me file entre les mains un dossier, plus précisément un Contrat, un Contrat magique, qui oblige celui qui le signe à suivre à la lettre les instructions du Contrat sous peine de mourir assez atrocement. Pas bon ça, pas bon du tout.
Je prends quelques secondes pour regarder le Contrat, et voit quelques mots clés : Obéissance, Maître, Discipline, Hiérarchie, Aucun contact, Obéir. Que de jolis mots tiens.

« Vous ne vous attendez quand même pas à ce que je signe un contrat magique ? »

Mon ton est assez incrédule, pour ma défense, les Contrats magiques ne sont pas ou très peu utilisés, seulement par les Aurors et les avocats en fait, et jamais la conséquence est la mort, seulement la perte de mémoire. Alors que là, si je signais, je me retrouvais pieds et points liés. Le sourire vaguement inquiétant revient sur le visage blafard de Chef-Oui-Chef, et il répond d’une voix doucereuse, encore plus inquiétante que sa voix plaisante :

« Oh si vous allez signer, réfléchissez Mademoiselle Andropov, cela vous servira, si nous avons réussi à vous prendre, alors que vous aviez les moyens de vous défendre, essayez d’imaginer ce que cela donnera sur votre sœur, qui est encore un plus petit enfant ? Nous n’aurions même pas besoin de la convaincre elle, si nous l’enlevons aussi jeune. »

Stop. Arrêt. Cette homme, cette immonde vermisseau ose, je dis bien OSE, menacer ma sœur. Je me sens vaguement bondir pour aller lui foutre une baigne dans sa tête, mais alors, une grosse douleur irradie mon genou me forçant à me rasseoir. La douleur me fait reprendre mes esprits et je m’aperçois que dans mon mouvement, j’avais oublié Miss Gourde et Beau Roux, et apparemment pas eux, c’est Miss Gourde qui m’a foutu un coup de pieds dans le genou, la garce. Entre elle et moi, ça va vraiment pas être le grand amour. Surtout qu’elle me regarde de haut, mais je dois dire que je n’en ai rien à foutre, vraiment. Parce que Chef-Oui-Chef reprend la parole, glaciale.

« Vous avez été vraiment idiote sur cette fois Andropov. »
Sa voix claque sèche, dur et glaciale, pas du tout accueillante, ça me donne envie de me trémousser sur mon siège comme si j’étais devant un prof que j’avais déçu, sauf que la situation est tout autre et que je ne donnerais pas le plaisir à tête de Con de lui montrer mon malaise, mais de toute façon il s’en fout vu qu’il continue sur sa lancée.
« Sachez qu’ici, je vous suis supérieur et que tout le monde me protégera en priorité, surtout face à un attaquant, même un attaquant d’aussi petit calibre que vous. Alors maintenant signez cette feuille avant que je ne m’énerve et n’ordonne votre exécution et le ramassage de votre sœur. »

Sans couilles le mec, même pas capable de prononcer le mot "Kidnapping" alors que c’est à cause de ça qu’on est dans cette situation, enfin que je suis dans cette situation. Bon, eh bien, en réfléchissant, c’est pas comme si j’avais le choix. Je prends la Plume-A-Sang nécessaire pour signer le Contrat, et un peu tremblante, scelle mon destin en apposant ma signature sur la feuille. J’entends en même temps la voix de Chef-Oui… enfin de mon prochain boss résonner dans la salle :

« Bien, vous avez fait le bon choix. Je vous souhaite la bienvenue dans mon monde, Oméga. »

En relevant la tête, j’aperçois son visage, et je me dis que si j’arrive à revoir ma mère un jour, je pourrais lui dire que j’avais trouvé un visage au diable. Celui de mon boss. Celui de mon bourreau.
Oui bienvenue à moi dans les enfers.